Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Michaël Latz, Politiquement différent - Var
Michaël Latz, Politiquement différent - Var
Publicité
Michaël Latz, Politiquement différent - Var
Derniers commentaires
Archives
20 avril 2007

Le mirage du compromis à l'allemande

Voici un article intéressant, écrit  par Henrik Enderlein, titulaire de la chaire Fulbright sur l'Allemagne contemporaine à l'université Duke (Etats-Unis) :

Sarko_BayrouPour dissiper les doutes sur les chances de création et les succès promis d'un gouvernement d'"union nationale", le candidat Bayrou regarde outre-Rhin. Il se réfère de plus en plus souvent à un cas qu'il juge à même d'illustrer la pertinence de son projet gouvernemental : la "grande coalition en Allemagne" - l'alliance formée par les deux grands partis de gauche et de droite qui gère le pays depuis novembre 2005.

Cette comparaison laisse perplexes ceux qui suivent la politique allemande de près. Aujourd'hui, les deux tiers des Allemands ne sont pas satisfaits du travail du gouvernement. La fin anticipée de ce régime politique exceptionnel - que le pays n'a connu qu'une fois avant l'épisode actuel, entre 1966 et 1969 - est désormais ouvertement évoquée par les hauts responsables des deux partis. La presse parle de "blocage" et d'"années perdues".

Que dit M. Bayrou sur l'Allemagne ? Il se félicite du "gouvernement d'union", fait des références détaillées aux résultats économiques " époustouflants" et en tire une conclusion simple : "Cela prouve que, quand on rassemble les forces d'un pays et que l'on prend les décisions qui s'imposent, alors les résultats suivent. Les Allemands ont adhéré à la démarche proposée par le gouvernement d'Angela Merkel, parce qu'ils ont bien vu que leurs responsables de tous bords avaient décidé, désormais, de se mettre, au moins pour un moment, au service de l'intérêt général du pays et non plus au service des intérêts partisans."

Ce raisonnement contient trois erreurs : un malentendu sur l'origine de la grande coalition en Allemagne, une illusion sur son fonctionnement réel, et finalement un contresens sur les raisons des succès économiques récents.

Le gouvernement allemand actuel ne représente certainement pas un "gouvernement d'union", tel qu'il semble être préconisé par M. Bayrou. Son origine est fondamentalement conflictuelle : l'image du mariage forcé serait plus appropriée. Le soir des élections législatives, faute de majorité absolue au sein de chaque bloc politique, les deux grands partis ont à choisir entre la crise institutionnelle (dont l'ultime conséquence est le retour forcé devant les électeurs) et le pacte avec l'ennemi.

La grande coalition naît alors d'une méfiance extrême entre les deux partis, donnant lieu à des négociations longues et dures qui aboutissent à la signature d'un "contrat de coalition" détaillé. Le système allemand a l'habitude de ce genre de négociations : toutes les coalitions définissent en début de législature les grandes lignes de la politique à suivre. Mais plus encore que les contrats de coalition classiques, un contrat de grande coalition vise surtout à limiter le champ d'action du gouvernement et les impulsions données par le chancelier. Il repose sur le plus petit dénominateur commun du programme des deux grands partis et rend donc quasi impossibles des choix visionnaires ou courageux.

Le nombre de politiques allemands préconisant ouvertement une grande coalition avant des élections est extrêmement faible. Il y a quelques cas au niveau régional où ce type d'alliances fonctionne pendant plusieurs législatures et est reconduit même en présence d'options plus homogènes. Mais sur le plan national, la grande coalition reste une anomalie.

Les clivages entre la gauche et la droite sur les grands chantiers de la politique nationale sont tout simplement irréductibles. L'obligation momentanée, imposée par le système électoral aux partis, de dépasser leurs clivages n'y change rien. A titre d'exemple, l'Allemagne vient d'assister à l'échec retentissant de la réforme nécessaire de l'assurance-maladie. Cette réforme avait été considérée comme l'un des projets-phares du gouvernement Merkel. Malheureusement, les visions des deux grands partis étaient extrêmement éloignées.

Le résultat est un compromis dans le plus mauvais sens du terme. Chaque parti a réussi à protéger ses pions, mais les problèmes sont loin d'être résolus. Ce type de réforme ratée est symptomatique d'une grande coalition à l'allemande. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, celle-ci a tendance à empêcher les "bons compromis" - si fortement ancrés dans la vision française de la politique allemande - à cause de son caractère provisoire et institutionnellement conflictuel. Comme les deux grands partis savent qu'ils s'affronteront aux prochaines élections, la grande coalition allemande représente un armistice instable. Les deux partis cherchent constamment des options pour quitter le pacte, flirtent avec les petits partis et utilisent toutes les possibilités pour affaiblir l'adversaire-partenaire. La grande coalition, c'est la continuation de la politique partisane par d'autres moyens.

Ce serait par ailleurs un contresens d'attribuer les réussites récentes de l'économie allemande aux vertus de cette grande coalition. Les réflexions de M. Bayrou suggèrent que c'est grâce à la grande coalition que l'Allemagne va mieux. Cela revient à insinuer que le pays serait en moins bonne santé économique sous un gouvernement "pur" de gauche ou de droite. Rien n'est moins sûr.

S'il convient d'une manière générale d'être hésitant quant à la capacité des gouvernements à influencer la croissance à court terme - la grande coalition est en place depuis dix-huit mois -, il n'y a, dans le cas présent, aucune réforme susceptible d'expliquer l'accélération phénoménale de la croissance et de l'emploi en Allemagne. La seule "réforme" économique mise en place par la grande coalition et déjà en vigueur est la hausse de la TVA...

Les raisons de la reprise allemande sont multiples, mais elles sont détachées de la politique actuelle. C'est tout d'abord la restriction salariale négociée entre les syndicats et le gouvernement Schröder (coalition entre la gauche et les Verts) pendant près d'une décennie qui a permis aux industries allemandes de regagner de la compétitivité par rapport à leurs concurrents - notamment européens. Il y a aussi un simple effet de rattrapage : les faibles taux de croissance allemands pendant les dernières années sont aujourd'hui en partie compensés. Il y a enfin un effet structurel d'accélération de la croissance en Allemagne de l'Est. Cet effet reste relativement marginal, mais il contribue à créer un contexte favorable.

Quant au déficit budgétaire, variable-clé utilisée par M. Bayrou pour chanter l'éloge du miracle allemand, il a tout simplement baissé grâce à la reprise de l'économie allemande. La part de politique active de réduction du déficit est restée limitée à la hausse de la TVA déjà évoquée. Mais même cette hausse semblait être déjà acquise avant les élections législatives : le camp conservateur avait fait campagne sur la nécessité de l'augmenter.

Essayer de convaincre les électeurs français qu'un gouvernement d'union nationale à la française pourrait réussir de la même manière que la grande coalition "réussit" en Allemagne est un non-sens. S'il ne s'agit point de remettre en cause le programme du candidat ou son éligibilité - ces questions ne me concernent pas -, soumettre à une critique détaillée l'admiration de M. Bayrou pour la grande coalition allemande paraît plus qu'opportun. Vue d'Allemagne, elle apparaît comme une idolâtrie injustifiée.

Retrouvez l'article ici

Qu'en pensez-vous?

Publicité
Publicité
Commentaires
J
où trouvez-vous toutes ces belles photos de campagne. celle-ci est particulièrement savoureuse. elle illustre bien votre propos. bravo
P
je suis 100 % d'accord
Publicité